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Channel: Carie, la haine
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Première semaine

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J'ai donc commencé ma double vie, mon partage entre le cabinet A des beaux quartiers et le cabinet B du 93. L'appréhension était là. Quand on a pas vraiment bossé depuis 3 mois (ou rien de très technique), c'est toujours dur de s'y remettre. Retrouver le rythme d'un patient toutes les 30 minutes, trouver un moment pour aller éliminer le thé, souffler, manger ...

La journée du lundi fut très remplie et très éclectique à l'image du cabinet B. Une part de CMU, mais aussi des patients qui viennent de loin juste pour le cabinet. J'ai eu mon premier retard du à une patiente que je n'aurais du prendre (arrivée 20 minutes après l'heure de son rendez-vous). Retard rattrapé que sur ma pause déjeuner raccourcie. Je n'ai pas eu de remarque désobligeante de type "c'est vous le dentiste ?".  Le fait que la collaboratrice précédente soit jeune aide, ajouté à la problématique "j'ai mal aux dents, peut importe la personne je veux être soulagée". 

J'ai attendu le mardi pour dire à mes amis où je bossais. La réaction fut sans appel. "Qu'est-ce que tu fous dans le 93 ?". Est sortie ma partie humaniste. Oui il y a des dealers dans le square (comme dans tous les parcs parisiens), oui il y a des jeunes qui traînent en bas des tours, non les patients ne viennent pas armés. J'ai redécouvert au passage un concept. Celui de l'insécurité. Qu'est-ce qui fait qu'un quartier craint ? Comment définit-t'on cette notion ? Oui je me sens étrangère dans ce quartier où tout le monde se connais  depuis des années. Mais je ne me sens pas pour autant en danger. J'ai compris qu'à force de stigmatiser la Seine Saint Denis comme un département peuplés de voyous, on oublie que la grande majorité sont des personnes ne pouvant habiter à Paris pour cause de loyers trop chers, des gens qui bossent, qui ne profitent pas plus de la société que ceux habitant les HLM parisiens. Ce sont ces patients que j'ai croisé. Les jeunes du bas des tours sont ostracisés, nulle part où aller discuter, pas de café à l'horizon, pas de virée à Paris, un système scolaire pourri (le peu que j'en ai entendu ne me donne pas envie d'acheter dans le coin) et en plus un système médical à l'abandon. Double peine.

J'ai quand même pris soin de consulter google mon ami pour me rassurer. Est-ce qu'à force de dire qu'il ne se passera rien, je ne suis pas trop en méthode coué ? Bilan à part des affrontements avec la ville voisine, un braquage de bijouterie et une descente de la brigade des stupéfiants dans la rue, néant. La zone n'est même pas marquée en Z.U.S (zone urbaine sensible) contrairement à Belleville où j'aime aller.

Notez que jamais mon copain n'a été inquiété, ni mes parents. Ce qu'ils voulaient pour moi c'était un emploi du temps plein, et la première question n'était autre que "y a eu du monde ?".

Le cabinet en lui-même est très fonctionnel, mon collaborateur est à la pointe de la dernière technologie, ce qui fait que les matériaux et plateaux techniques suivent. En plus à chaque recherche, je trouve de nouvelles choses très intéressantes que je n'ai pas dans le cabinet A. On est au coeur de ce qu'on appelle l'omnipratique. Soigner tout le monde, répondre à tous les cas. (Ne pas faire que de la prothèse donc avoir de quoi remplir une cavité avec autre chose qu'un pansement provisoire).

Maintenant arrive la phase de réflexion, sachant qu'à eux deux ils forment un cabinet parfait, que choisir ?

Le cabinet A qui est tout propre, tout neuf, là-bas dans l'Ouest parisien. Mais où l'on a pas besoin de moi.

Ou le cabinet B bien équipé aussi, moins neuf, moins bien situé. Mais où l'on a besoin de moi (j'en ai encore eu un qui trépignait de joie à l'idée d'être pris en urgence dans la journée).

En attendant la démission d'un des deux, je jongle, je dors peu, je suis crevée. Je me suis prise pour Wonder-woman quand en arrivant à 20h chez moi, j'ai réussi à caler un jogging et le rôtissage du poulet, source de mes angoisses de la veille. Ma mère m'avait répondu que si mon seul problème était de savoir quand j'aurais 1h30 pour rôtir un poulet, ça allait bien dans ma vie, mais que je ferais comme tout le monde j'achèterais des surgelés. 

A suivre !

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